Si l’histoire fait la part belle aux hommes qui ont fait la Révolution, elle oublie trop souvent de mentionner les femmes et le rôle qu’elles ont pu, elles aussi, jouer. En effet, au printemps 1789, les cahiers de doléances de femmes au roi sont nombreux. Les États Généraux sont alors ouverts à Versailles le 5 mai 1789, puis ce sera la prise de la Bastille le 14 juillet et l’abolition des privilèges le 4 août. À chacune de ces étapes, les femmes sont présentes avec des revendications claires. Découvrez l’histoire et le portrait de certaines de ces femmes qui ont fait la Révolution française, et ce dès le printemps 1789.
Par Paule Valois
À l’assemblée du Tiers État, deux députations d’ouvrières, celle des marchandes de poissons et celle des fruitières, ont le droit de s’exprimer. En effet, les « dames de la Halle » sont déjà relativement indépendantes car elles forment des corporations de métiers sous l’Ancien Régime, comme tous les artisans et commerçants. Elles dénoncent alors les privilèges de la noblesse, en particulier celui de ne pas payer d’impôts, qui contribuent à l’appauvrissement général et aux difficultés économiques dans les années précédant la Révolution.
La « Corporation des marchandes de mode, plumassières, fleuristes, bouquetières, chapelières en fleurs de Paris et des faubourgs » rédige même son propre cahier de doléances avec des revendications corporatives, mais de bon sens, et qui résonnent encore aujourd’hui. Elle y explique qu’elle paye chaque année des sommes considérables au roi en impôts et en droits de maîtrise, et s’insurge : elles pourvoient aux dépenses de la nation donc elles ont le droit de parler devant ses représentants.
Les doléances des femmes
Cependant, les cahiers de doléances sont très nombreux et émanent de toute la France et de femmes de conditions fort différentes les unes des autres. Elles revendiquent pour la plupart le droit à une bonne éducation, le droit à l’héritage, le droit au travail, l’accès aux mêmes métiers que ceux des hommes et le droit de vote pour envoyer des députés à l’assemblée.
Voici ci-dessous l’exemple d’un texte rédigé par une femme, une Normande, Madame B…B…, anonyme mais dont le bon niveau d’instruction et les arguments laissent penser qu’il s’agit d’une bourgeoise, sans doute propriétaire. Cependant elle écrit qu’elle argumente pour défendre « la cause commune ».
L’égalité des droits
Elle demande en premier lieu le droit de voter pour les représentants aux États Généraux. Son argumentation économique est intéressante elle aussi : puisque les femmes qui sont propriétaires, paient des impôts et remplissent les engagements du commerce, il serait juste qu’elles aient le droit de vote et d’expression devant l’assemblée.
Elle écrit :
« Nous croyons qu’il est de toute équité de permettre aux femmes veuves ou filles possédant des titres et autres propriétés de porter leurs doléances, qu’il est également juste de recueillir leurs suffrages puisqu’elles sont obligées, comme les hommes, de payer les impositions royales et de remplir les engagements du commerce. »
En réalité, elle réclame ce qui est accordé aux femmes nobles possédant des fiefs qui peuvent se faire représenter par des procureurs aux États Généraux. Mais cette Cauchoise réclame également le droit à l’héritage qui, dans certaines coutumes comme la coutume normande, exclut les femmes de l’héritage de leur père au profit de leurs frères.
L’accès à l’instruction et aux professions
Enfin, elle réclame le droit à l’instruction pour les femmes et la gratuité des écoles. De manière générale, les filles sont souvent sacrifiées pour doter leur frère. Sans mariage, elles ont peu de chances d’avoir une existence décente faute d’instruction.
Le Cahier des doléances et réclamations des femmes du département de la Charente reprend presque à l’identique le texte du cahier normand. Ce qui prouve que les idées féministes circulaient dans les provinces grâce aux liens d’amitiés, aux relations de famille, mais aussi aux salons provinciaux propageant les idées nouvelles, sur le même modèle que les salons parisiens.
La « Pétition des femmes du Tiers État au roi », de janvier 1789, autre cahier des doléances et réclamations, demande une instruction suffisante pour les femmes, comme source de conscience politique et d’émancipation économique.
On y trouve aussi la demande d’avoir un travail, quitte à essayer de garder certains privilèges sur certains types d’emploi traditionnellement féminins :
« Que les hommes ne puissent, sous aucun prétexte, exercer les métiers, qui sont l’apanage des femmes soit couturière, brodeuse, marchande de mode, etc. »
D’autres souhaitent que tous les métiers soient accessibles à tous, que les femmes puissent exercer des métiers jusque-là réservés aux hommes, comme celui de typographe par exemple.
Les prémices du féminisme
Autres arguments trouvés dans les cahiers de doléances : un homme ne peut pas représenter une femme par procuration car elles n’ont pas les mêmes intérêts qu’eux. Il faut abolir les privilèges de masculinité
comme les autres privilèges. Il faut voter la suppression du droit d’un père de marier sa fille contre sa volonté.
Beaucoup disent chercher paix et confiance entre hommes et femmes grâce à la suppression des abus qui font de la femme une mineure par l’éducation et le mariage.
Les femmes continueront durant toute la Révolution d’envoyer des réclamations et des motions à l’Assemblée où elles seront souvent lues par des hommes.
Les faux cahiers rédigés par des hommes
Certains hommes choisirent, pour noyer ces revendications sous un flot d’autres arguments, de rédiger eux-mêmes de faux cahiers de doléance afin de se moquer du mouvement et, en réalité, par crainte qu’il n’aboutisse. Des écrits grivois, emprunts de préjugés sexistes et d’exagérations ridicules.
Par exemple, la « doléance d’une Dame de la Halle aux États Généraux » qui vise surtout à diffamer les femmes de condition modeste en utilisant un langage vulgaire et des expressions maladroites.
D’autres textes visent à soulever les effets néfastes d’une accession des femmes aux mêmes droits que les hommes, avec des revendications inconcevables pour une femme du XVIIIe siècle comme l’accès à la prêtrise ou encore en arguant d’un athéisme ou d’un anticléricalisme, présents à cette période dans l’élite de la société française mais encore rare dans le peuple.
Les députés du Tiers État rendent leurs débats publics. Chacun peut s’asseoir dans les tribunes et les femmes sont présentes. Elles contribuent à divulguer idées et informations. Ainsi, au cours de la séance du 19 mai 1789, huit « dames la Halle », des fruitières, viennent embrasser les députés, chanter et les féliciter mais aussi en leur faisant des recommandations politiques.
Ainsi, on constate que les femmes, mêmes privées du droit de vote, entrent très tôt dans le processus révolutionnaire pour l’activer, l’accélérer, le soutenir.
14 juillet 1789 : les femmes ce jour-là
Chaque événement de la Révolution est l’occasion pour les femmes de se retrouver et de prendre conscience de leurs intérêts communs. Dans ces « combats », elles prennent la pleine mesure de leur existence en tant que groupe dans la société.
Il en va ainsi dès juillet 1789 lorsque les événements se précipitent. Après le renvoi de Necker, ministre de Louis XVI parce qu’il défendait le « vote par tête » et non « par ordre » aux États Généraux, le peuple en veut au roi. Ceci d’autant plus que ce dernier et ses ministres se méfient des Parisiens et massent des troupes au Champ de Mars, prêtes à intervenir. Partout dans Paris, des hommes et des femmes se rassemblent.
Camille Desmoulins, avocat et député, se rend au Palais-Royal le 12 juillet, grimpe sur une table au Café de Foy. Il fait un discours devenu célèbre dans lequel il explique que la menace est là et que la seule solution pour le peuple est de prendre les armes.
Le lendemain, le 13 juillet, c’est la destruction d’éléments de la barrière d’octroi construite autour de Paris par Louis XVI et haïe par les Parisiens car elle rend toute marchandise plus coûteuse. Dans la nuit du 13 au 14 juillet, des hommes et des femmes s’arment. Le 14 juillet, la prise de la Bastille sera le déclencheur puis le symbole de la Révolution.
Les femmes présentes en nombre
S’il est impossible d’avoir un chiffre du nombre de femmes présentes dans le cortège et à la Bastille ce jour-là, plusieurs témoignages assurent qu’elles étaient nombreuses lors de la prise de la Bastille. « Des femmes, volant au secours de leurs époux, y ont été blessées », lit-on dans la presse.
Parmi les vainqueurs de la Bastille, environ 900 personnes sont citées par la suite, parmi lesquelles 16 veuves, mais aucune indication sur le nombre complet de femmes. Cela s’explique sans doute par le fait que les veuves avaient le droit de gérer leurs biens, ce qui leur conféraient un statut supérieur à celui des femmes célibataires ou mariées, les rendant plus « citoyennes » que les autres.
Les héroïnes du 14 juillet 1789
Certaines femmes ne se contentent pas d’accompagner et d’assister leurs époux mais combattent par elles-mêmes autour des remparts, à l’égal des hommes. Quelques héroïnes sont citées dans la Gazette Nationale du 24 juillet 1789.
Par exemple, une jeune fille de 18 ans qui combat aux côtés de son amant, en portant des habits d’homme. Parce que c’est plus pratique ? Parce qu’elle craint d’être chassée ? Nul ne sait.
Marie Charpentier : combattante de la Bastille
Autre femme, dont le nom est précisé cette fois : « Marie Charpentier, épouse Haucourt, qui a combattu vaillamment auprès de son mari devant la Bastille et a été blessée ». Elle restera estropiée. Le Moniteur du 19 décembre 1790 rapporte qu’un décret de la Constituante accorde une pension aux vainqueurs et affirme que Marie Charpentier mériterait d’en bénéficier.
Le courage moral et l’engagement des femmes est déjà fort : une femme de charbonnier qui cherche avec calme le cadavre de son fils après le siège de la Bastille, répond à ceux qui s’étonnent de sa sérénité :
« Dans quelle place plus glorieuse pourrais-je le chercher ? S’il a donné sa vie pour la patrie n’est-il pas bienheureux ? »
Théroigne de Méricourt : aux armes citoyennes !
Parmi les personnalités de la Révolution restées célèbres, Anne Théroigne de Méricourt entre aussi dans la bataille. Elle est citée au rang des vainqueurs de la Bastille et reçoit un sabre d’honneur par décret le 19 juin 1790.
Anne Théroigne de Méricourt est originaire de Liège. Elle se fait vite remarquer en se présentant régulièrement à l’Assemblée, habillée en homme, en bleu, blanc, rouge. Elle demande, sans succès, à prendre la parole.
Après la prise de la Bastille, elle jouera aussi un rôle actif dans la prise des Tuileries du 10 août 1792 qui fera prisonniers Louis XVI et sa famille, enfermés ensuite dans la prison du Temple. Elle recevra par la suite, pour cette action, une couronne civique.
Un corps armé féminin et citoyen
Anne Théroigne de Méricourt proposa de former un corps armé féminin pour défendre la patrie, une façon d’être citoyenne. De fait, certaines femmes se sont engagées. Aux Archives de Vincennes, on trouve 50 dossiers militaires de femmes, jusqu’à ce qu’un décret du 30 avril 1793 ne les chasse de l’armée avec comme argument qu’elles gêneraient la marche des troupes et apporteraient vices et maladies vénériennes.
Anne Théroigne de Méricourt sera l’objet d’une légende noire au XIXe siècle, traitée de femme sanguinaire, surnommée « amante du carnage » par Baudelaire et « prostituée volontaire du peuple » par Lamartine. Une image d’ailleurs donnée à beaucoup d’autres femmes qui ont défendu activement leurs convictions. Dès la Révolution, elle subit ainsi des accusations faciles, notamment de débauche. Elle dénonce la « tyrannie de l’oppression masculine » :
« J’étais femme, voilà le grand inconvénient aux yeux de l’autre sexe ».
Reine Audu : la « Reine de la Halle »
Reine Audu (de son vrai nom, Louise-Renée Leduc) est surnommée la « Reine de la Halle ». Elle était là au rassemblement au Palais-Royal le 14 juillet avant le départ pour les Invalides chercher des armes. Elle sera encore là également parmi les insurgés du 14 juillet qui prennent la Bastille.
En effet, elle travaille aux Halles comme fruitière, elle y est connue pour sa voix puissante et son parler franc. Elle y exerce une certaine autorité et influence, par sa forte personnalité, sur les marchandes héritières des fameuses « dames de la Halle » dont parle le poète François Villon dès le XVe siècle.
Reine Audu dénonce les prix à la hausse des marchandises et les sommes énormes dépensées par la Cour à Versailles. Elle sera de tous les cortèges et manifestations par la suite.
Bibliographie
- La Révolution et les femmes de 1789 à 1796, par Anne Soprani, MA Editions
- Les femmes et la Révolution 1789-1794, par Paule-Marie Duhet, Collection Archives, Editions Gallimard Julliard
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À propos de l’autrice
Paule Valois est guide-conférencière professionnelle, historienne, journaliste. Elle propose des visites thématiques, fait découvrir le Paris historique, visible dans l’art de ses monuments et le destin de ses grandes figures, mais aussi l’histoire des Parisiens, et des femmes en particulier, à travers les événements historiques mais aussi la législation et les habitudes de la vie quotidienne. Paule Valois évoque les femmes dans la Révolution française au cours de sa visite intitulée Odéon-Saint-Germain-des-Prés.
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Crédits photos
Visuel d’illustration : La révolution et nous, le blogue historien de Claude Guillon