Rarement une existence n’aura autant ressemblé à un roman flamboyant. Désormais panthéonisée depuis le 30 novembre 2021, la plus Française des artistes américaines – et inversement – détonne au milieu des figures illustres qui l’ont précédée par son anticonformisme, son courage et son sourire. L’occasion de rendre un dernier hommage à une femme libre.
Par Gilles Marchand
« Et si Joséphine Baker entrait au Panthéon ? », lançait Régis Debray dans Le Monde fin 2013. Un peu plus de sept ans après la tribune du philosophe, la pétition en ligne de l’essayiste Laurent Kupferman remporte un franc succès. « Osez Joséphine Baker au Panthéon ! » recueille près de 38 000 signatures. Il faut dire que le pedigree de l’artiste est impressionnant, comme le rappelle le texte :
« Première star internationale noire, muse des cubistes, résistante pendant la 2e Guerre mondiale dans l’armée française, active aux côtés des Martin Luther King pour les droits civiques aux États-Unis d’Amérique et en France aux côtés de la LICA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme ndlr) (…) ».
Bien loin de la seule image iconique – mais si réductrice – de la ceinture de bananes qui a fait sa gloire…
Résistante… dans tous les moments
Née dans une famille d’artistes qui peine à joindre les deux bouts, Freda Josephine McDonald s’intéresse très jeune au music-hall. Comme le relate la très réussie biographie graphique « Joséphine Baker », l’imprésario Bob Russel l’engage dans son numéro avec ses mots :
« N’oublie jamais, petite : quand on est une jeune fille noire et pauvre, il n’y a que trois façons d’échapper à la misère. Devenir pute, boniche ou girl. »
Elle ne connaîtra jamais les deux premières « carrières » et sortira rapidement du lot des artistes de scène pour s’imposer, par son talent et son charisme, comme une véritable étoile multi-talents du cabaret et de la revue, connue dans le monde entier. Devenue citoyenne française en 1937 par son mariage avec Jean Lion, elle s’engagera passionnément pour son pays de cœur pendant la seconde Guerre mondiale.
Profitant de son statut, elle utilise ses tournées mondiales pour transmettre des documents à la Résistance – écrits à l’encre invisible sur des partitions. La légende veut qu’elle cache des photos d’installations militaires allemandes dans ses sous-vêtements.
Des ors de la scène aux médailles de guerre
Décorée de la Croix de guerre, de la Médaille de la résistance et de la Légion d’honneur, elle se lance dans un autre combat, celui des droits civiques dans son pays d’origine. Lors de la célèbre Marche sur Washington, en 1963, elle rappellera le paradoxe de sa propre existence – considérée comme un être humain de second rang mais célébrée par les puissants :
« Vous savez, mes amis, que je ne mens pas quand je vous raconte que je suis entrée dans les palais de rois et de reines, dans les maisons de présidents… Et bien plus encore. Mais je ne pouvais pas entrer dans un hôtel en Amérique et boire une tasse de café. Et cela m’a rendue furieuse. »
Cette colère nourrira sa quête de liberté, s’affranchissant des codes sociaux pour définir ses propres règles – dans la manière
dont elle dispose de son corps, dans ses choix de vie, dans sa carrière. Avec l’un de ses maris, Jo Bouillon, elle adoptera 12 enfants de nationalités différentes, sa « tribu arc-en-ciel ».
On lui prête également plusieurs relations amoureuses avec des femmes. Sa célèbre chanson « J’ai deux amours » serait-elle une forme de coming-out bisexuel ?
Bienvenue à la station Gaîté-Joséphine Baker
Joséphine Baker emporte la réponse avec elle au Panthéon. Gageons que ce n’est pas le seul secret qu’elle ait préservé, malgré les nombreuses biographies hyper-documentées parues sur Joséphine Baker. Il était temps de reconnaître son héritage unique en lui donnant la place qu’elle mérite, parmi les femmes et les hommes remarquables rassemblés au Panthéon.
Avant une possible reconnaissance supplémentaire : donner son nom à une station de métro parisien qui la représente si bien, située tout près du théâtre Bobino où elle a fait ses adieux à la scène.
Crédit photos : © Studio Harcourt / Wikimedia Commons (cover picture) / © Violaine Cherrier (ceinture de bananes / Château des Milandes).
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