Le 16 septembre 2022, à Téhéran, la mort de la jeune Mahsa Amini, arrêtée pour port du voile non conforme à la loi, provoque un mouvement insurrectionnel inédit dans la République islamique d’Iran : « Femme, vie, liberté ». Ce premier anniversaire est aussi celui d’une résistance qui persiste, portée et racontée par de nombreux artistes.
Par Gilles Marchand
Mehdi Yarrahi, célèbre compositeur et chanteur iranien, est aujourd’hui en prison. Son « crime » ? La sortie, fin août, d’une chanson intitulée « Roosarito », ou « Ton foulard », en référence au mouvement de protestation qui a vu des femmes retirer le leur en pleine rue, lors de manifestations dans tout le pays. Dans son texte, l’artiste conteste le port obligatoire du voile. Soit, aux yeux du pouvoir en place, « une chanson illégale qui remet en cause les mœurs et les coutumes de la société islamique ».
Une pétition en ligne a déjà recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures, et la presse internationale se fait le relais de cette arrestation, emblématique d’un double phénomène : la répression du gouvernement, qui s’est accrue à l’approche du premier anniversaire du mouvement « Femme, vie, liberté », et la résistance, moins visible aujourd’hui mais qui ne faiblit pas. D’autres artistes ont été récemment visés, comme le réalisateur Saeed Roustaee, arrêté et condamné après la présentation de son dernier film, traitant de la crise sociale et économique qui traverse l’Iran.
Un roman graphique et un documentaire au plus près des manifestant.e.s
Ce climat brutal est à la mesure du soulèvement de septembre 2022 et de sa répression, qui a fait plusieurs centaines de morts et entraîné des dizaines de milliers d’emprisonnements. Une répression qui a encore pris de l’ampleur à l’approche de son premier anniversaire : un jeune Kurde, Hamed Bagheri, a été assassiné à Karadj, le 13 septembre après avoir proféré des slogans visant le régime et incité la population à manifester.
Femme, Vie, Liberté
Que s’est-il passé au cours de ces derniers mois ? Entre la mort de Mahsa et celle d’Hamed ? Où en est la résistance aujourd’hui, et comment s’exprime-t-elle ? Un documentaire et un roman graphique permettent d’en savoir plus sur la réalité vécue, au quotidien, par les Iraniennes et l’ensemble de la résistance.
Dans « Femme, vie, liberté – Une révolution iranienne », l’auteure-réalisatrice Claire Billet retrace le soulèvement, images tournées par des anonymes à l’appui, et donne la parole à des activistes, des manifestant.e.s, des opposant.e.s au régime en exil.
Quant à l’artiste franco-iranienne Marjane Satrapi, elle a rassemblé des spécialistes (Farid Vahid, politologue, Jean-Pierre Perrin, grand reporter, et Abbas Milani, historien), ainsi que 17 illustrateur.trice.s et dessinateur.trice.s, pour raconter l’événement et ses retombées pour le régime en place, comme pour la population.
La résistance s’exprime au quotidien
Parmi eux, la graphiste Bahareh Akrami, fille de réfugiés politiques iraniens, qui, dans une interview pour Télérama, donne un éclairage précieux de la situation en Iran :
« À l’approche de l’anniversaire du 16 septembre, le régime a accentué la pression et emprisonné d’innombrables artistes, intellectuels, proches et parents de victimes, pour tenter d’éviter des manifestations…
... Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, il va y avoir l’anniversaire des nombreux morts lors de manifestations ou d’exécutions : chaque commémoration peut donner lieu à des rassemblements. Du fait de cette répression, la situation semble plus calme : les rues ne sont plus remplies de manifestants, mais la mobilisation est bien là, plus discrète. Des réunions privées, des tags sur les murs, des actes de désobéissance civile comme le fait de sortir sans voile pour les femmes − ce que fait ma tante quand elle va au parc, ou au sport − ou en short pour les hommes, ou encore de brûler des images du guide suprême.
Partout, le risque de la dénonciation existe, et les bassidji (miliciens) en civil peuvent intervenir à tout moment. Mais, désormais, quand ils s’en prennent à une femme non voilée par exemple, des gens s’interposent, des attroupements se forment, des passants s’en mêlent : on le voit très souvent sur les vidéos postées sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, le régime a développé une vidéosurveillance massive car la dénonciation n’est plus aussi productive qu’avant. Des artistes, des sportifs soutiennent publiquement ces gestes, des militants morts ou vivants deviennent des icônes, comme Sepideh Qoliyan, militante arrêtée et jugée plusieurs fois, qui a craché sur le juge. »
Le vent de résistance qui s’est levé le 16 septembre 2022 ne semble pas près de retomber…