Olympe de Gouges, grande dame de la Révolution française, est née le 7 mai 1748 à Montauban. Alors que nombre de députés et de révolutionnaires sont restés anonymes, Olympe de Gouges a traversé l’histoire et s’impose aujourd’hui comme une référence pour le droit des femmes en général et le féminisme en particulier. Les idées d’Olympe ont été redécouvertes depuis les années 1980 et ses textes réédités lors du bicentenaire de la Révolution française. Quelle force a-t-elle donc permis à ses idées de traverser ainsi le temps ? Portrait d’Olympe de Gouges que l’histoire a trop souvent (et injustement) occultée.
Par Paule Valois et Violaine Cherrier
7 mai 1748 – 7 mai 2020 : 272 ans nous séparent de la naissance d’Olympe de Gouges, grande figure du féminisme mais également de l’histoire de France. Quoi de plus normal alors que de célébrer cette date anniversaire ? C’est pourquoi nous avons souhaité, au sein de l’Association Française du Féminisme, lui rendre hommage en lui consacrant notre article de lancement de notre tout nouveau site internet. Merci et bon anniversaire, Madame !
Olympe de Gouges, une révolutionnaire visionnaire
Olympe de Gouges fait partie des Français(es) qui ont écrit et publié des articles ou ouvrages sur la politique, pendant la Révolution française et se sont donc exposés publiquement, en risquant leur vie et tout en le sachant. L’époque fait fleurir toutes sortes d’idées nouvelles et suscite l’engagement mais demande beaucoup de courage. Dès avant la révolution, elle rédige beaucoup de brochures « patriotiques », qui témoignent de sa conscience politique.
Olympe a publié, par exemple, une proposition visant à réduire la dette de la France (cette dette dramatique, à l’origine de la convocation des Etats Généraux, en 1789, qui vont faire basculer le pays dans la révolution). C’était en 1788 dans la Lettre au peuple, elle propose alors que tous les Français offrent volontairement un don pour reconstituer le trésor de l’État.
Puis elle insiste, en 1789, en s’adressant aux femmes : dans Action héroïque d’une Française ou la France sauvée par les femmes, elle leur demande de donner argent et bijoux pour pouvoir gagner l’honneur d’avoir sauvé leur nation.
Une femme politique modérée…
Sur le plan politique, elle prend d’abord position pour une monarchie modérée. Elle est très satisfaite lorsque Louis XVI accepte la constitution, le 13 septembre 1791. La France entre alors théoriquement dans une monarchie constitutionnelle mais le roi, qui a été contraint d’accepter, oppose son veto à presque toutes les lois, une attitude qui mènera le régime dans une impasse.
Plus tard, après le 10 août 1792, journée au cours de laquelle Louis XVI est emprisonné à la prison du Temple, Olympe adhère tout à fait à la république créée le 21 septembre 1792. Cependant, elle prend position contre la condamnation à mort de Louis XVI, en janvier 1793.
En effet, si elle est pour l’abolition de la monarchie, elle prône de bien différencier l’homme de sa fonction. Par ailleurs elle ajoute : « Il ne suffit pas de faire tomber la tête d’un roi pour le tuer ». Autre point qui montre sa réflexion en profondeur sur les questions politiques. Olympe est proche du parti Girondin mais tient en permanence à son indépendance critique.
… Et une autrice engagée
Contrairement à beaucoup d’autres femmes comparables de l’époque comme Claire Lacombe, Anne Théroigne de Méricourt, Pauline Léon, ou Etta Palm d’Aelders, Olympe de Gouges n’est pas une femme d’action, se veut avant tout une autrice. Elle reste plutôt en marge des clubs et associations de femmes qui se créent. En juillet 1793, pour mettre fin aux déchirements du pays, elle a une idée originale : demander par référendum aux Français s’ils veulent un gouvernement républicain un et indivisible, un gouvernement fédératif ou une monarchie.
Ce qui montre sa foi en la démocratie (a solution aurait pu être la meilleure, mais le résultat était très incertain…) Elle rédige son texte sous la forme d’un placard intitulé Les trois urnes ou le salut de la Patrie. C’est peut-être ce qui la perd. Olympe est alors arrêtée et jetée en prison. Elle refuse de prendre un avocat, choisissant de se défendre seule lors de son procès devant le Tribunal révolutionnaire. Le 2 novembre, l’accusateur public, Fouquier-Tinville, écrit dans l’acte d’accusation « publication d’écrits attentatoires à la souveraineté du peuple ».
Cela semble contradictoire mais cette accusation était utilisée de manière indifférenciée pour beaucoup de cas. Elle est condamnée à la guillotine et exécutée le 3 novembre 1793.
L’égalité entre hommes et femmes devant la loi
Olympe rédige le texte le plus marquant de la période pour les femmes la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Le texte est publié le 5 septembre 1791. Il fait écho à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elle réclame la citoyenneté à part entière, droit de vote pour les femmes (qui ne sera jamais accordé en France avant 1944) et d’être élue, et l’égalité en droit avec les hommes.
Ces revendications sont énoncées par beaucoup d’autres femmes, et certains hommes d’ailleurs comme Nicolas de Condorcet. Olympe va au-delà. Elle énonce une conception de la souveraineté et de la démocratie qui ne peut pas se passer des femmes :
« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme ». Une manière là encore d’exprimer que la femme représente la moitié du genre humain. La fameuse Déclaration de 1789 devrait s’appliquer à l’ensemble du genre humain. Plus loin elle insiste « La constitution est nulle si la majorité des individus qui composent la Nation n’a pas coopéré à sa rédaction ».
« La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit également avoir celui de monter à la Tribune. »
Dans l’article 10 de la Déclaration, elle a une expression en forme de provocation qui impressionne beaucoup ses lecteurs de l’époque et nous aussi encore : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit également avoir celui de monter à la Tribune ». Autrement dit le droit d’expression à l’assemblée. Pour préciser la situation durant les premières années de la Révolution : les femmes n’avaient pas le droit de vote et a fortiori celui d’être élue mais avaient le droit d’écouter les débats des assemblées.
Dans les clubs des Jacobins et des Cordeliers qui réunissaient les députés, elles ne pouvaient pas intervenir directement mais pouvaient rédiger des motions qui étaient lues par des hommes. Par la suite, à partir de 1793, sous le régime de la Terreur et sous le Directoire, les femmes seront chassées de l’Assemblée comme des clubs.
Autre point important : Olympe défend, comme beaucoup de femmes de toute condition, le droit des femmes à accéder à tous les types d’emplois, places, emplois publics et fonctions « selon leurs capacités et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents ». Quelle modernité dans cette revendication qui n’est d’ailleurs toujours pas appliquée…
Quelques avancées arrivent dans cette période des premières années de la Révolution en termes d’égalité juridique dans le domaine notamment du droit civil (mais non des droits politiques). Par exemple, en avril 1791, les femmes accèdent à l’égalité avec les hommes en matière de succession.
Une femme libre
Prônant la liberté, Olympe de Gouges milite notamment en faveur de :
- L’égalité politique des sexes
- La suppression du mariage religieux
- L’instauration du divorce
- La création de lieux pour accoucher
- La reconnaissance des enfants nés hors mariages
L’influence de ses origines sur ses prises de position
Olympe de Gouges est la fille naturelle du poète et auteur dramatique, le marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, et de la fille d’un avocat issu d’une famille de marchands. Née Marie Gouze, Olympe choisit plus tard de prendre le prénom de sa mère qu’elle trouve plus original, elle est Marie-Olympe puis Olympe tout court. Elle écrit son nom Gouze sous la forme Gouges et, surtout, ajoute une particule pour en faire un nom apparemment noble. En effet, elle pense être la fille illégitime du marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, poète très apprécié à l’époque et parrain de sa mère Anne Olympe.
La relation amoureuse entre eux n’est pas un secret et la filiation non plus. Sa mère est fille d’avocat, appartient à la bourgeoisie aisée de Montauban, Olympe reçoit donc une bonne éducation. Mais la jeune femme a une revanche sociale à prendre, elle vit sa situation comme une injustice sociale et son ambition littéraire comme politique trouve un terreau dans son histoire personnelle. Une phrase de la Déclaration ne s’explique que par son passé :
« Toute citoyenne peut donc dire librement : je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ».
Elle prônera aussi la libre recherche de la paternité. Olympe est mariée par sa famille à un commerçant qui meurt en 1766. Elle quitte alors Montauban pour Paris notamment dans le but de faire donner à son fils, Pierre, une bonne éducation. Elle ne se remariera jamais pour garder sa liberté car à l’époque une femme mariée ne peut pas publier sans l’autorisation de son mari.
Son compagnon, Jacques de Rozières, lui assure une aisance matérielle, elle fait partie de la bourgeoisie, fréquente les salons parisiens où elle s’imprègne des idées des philosophes des Lumières.
Olympe de Gouges et le théâtre
Olympe a utilisé le théâtre pour faire passer des idées. Elle monte une troupe de théâtre. Elle écrit Le mariage inattendu de Chérubin qu’elle fait jouer en 1788. La pièce est censée être la suite du Mariage de Figaro. Ce qui entraîne une brouille avec Beaumarchais qui n’apprécie pas l’initiative et y voit un peu trop d’emprunts à sa propre pièce. L’auteur refuse de la recevoir et de l’aider mais, bien pire, il la critique durement sur la qualité du style d’écriture de la pièce. Olympe, furieuse et vexée dans ses velléités d’auteur dramatique, ne s’en remettra jamais tout à fait.
Olympe de Gouges milite contre l’esclavage, des idées qu’elle partage avec la Société des amis des Noirs, des principes déjà exprimées dans Zamor et Mirza ou L’heureux naufrage, une pièce programmée en 1785 à la Comédie-Française mais censurée et qui ne sera jouée qu’après la révolution. Elle suggère, pour remplacer le contraignant mariage, un « contrat social de l’homme et de la femme » (on voit poindre le futur PACS…).
Elle défend le divorce dès 1790 dans La nécessité du divorce. De fait, grâce à elle, entre autres, le divorce par consentement mutuel est adopté par l’assemblée en septembre 1792 (supprimé plus tard, sous cette forme, par Napoléon, dans le Code civil). Olympe défend la liberté pour les femmes de choisir leur destin et notamment de ne pas être forcée par leurs familles à prendre le voile, dans la pièce Le Couvent ou les vœux forcés, en 1790.
Une réflexion sur la condition des femmes
Au-delà des revendications, Olympe préfigure le féminisme, même si elle n’est ni la seule ni la première, grâce à sa réflexion sur la situation des femmes dans la société où elle vit, l’expression de son espoir de changement et l’influence qu’elle cherche à exercer sur les femmes elles-mêmes. Dans le préambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle écrit : « L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ».
Dans l’article 4 elle écrit :
« L’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ».
À la suite du texte, Olympe explique que l’infériorité de la femme, imposée par les hommes, l’a amenée à user de ruse et de dissimulation. Elle dit constater et regretter ce qui découle de cet état de fait, une tendance des femmes à médire les unes des autres : « Les femmes n’ont jamais eu de plus grands ennemis qu’elles-mêmes. Rarement on voit les femmes applaudir à une belle action, à l’ouvrage d’une femme ».
Elle demande donc aux femmes de réagir, de faire leur propre révolution en modifiant leurs comportements et en se soutenant entre elles : « Femmes, ne serait-il pas grand temps qu’il se fît aussi parmi nous une révolution ? Les femmes seront-elles toujours isolées les unes des autres ? »
Les prémices du féminisme
C’est en effet une des conditions du mouvement en faveur des droits des femmes. Sur ce point encore Olympe est déjà féministe. Elle n’hésite pas à déclarer « le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles » : Olympe se laisse aller sur ce point à des considérations déjà énoncées par les Précieuses du XVIIe siècle et qui ne vont pas dans le sens de sa crédibilité… Mais on peut le lui pardonner. Elle écrira aussi « La culotte ne sera plus que pour les hommes, chaque sexe aura le droit de la porter ». Dans ce type de phrase également s’exprime la « féministe ».
Après sa mort, on a pu lire à propos d’elle : « Elle voulut être homme d’État, elle a oublié les vertus qui conviennent à son sexe ». Olympe de Gouges était dans la transgression sociale !
Même si elle ne fut pas la seule à réclamer l’égalité en droit entre hommes et femmes, elle joue un rôle particulier par l’étendue de sa réflexion sur la condition des femmes et alimente ainsi l’évolution des droits sur le long terme. Un buste d’Olympe de Gouges trône au-dessus de la Déclaration des droits de la femme, au sein même des locaux de notre assemblé nationale, depuis 2016, dans la salle des quatre colonnes du palais Bourbon !
Beaucoup de lieux publics portent son nom. Il est toujours question de placer Olympe de Gouges au Panthéon, même si la proposition été repoussée plusieurs fois : cela ne serait que justice.
La minibio d’Olympe
- Elle naît le 7 mai 1748 à Montauban
- De son vrai nom Marie Gouze
- Elle est mariée en 1765 à 16 ans contre son gré, veuve en 1766
- Elle prend le pseudonyme d’Olympe de Gouges en 1770
- Elle publie en 1791 de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
- Olympe est aussi l’autrice de nombreuses pièces de théâtres
- Elle est la première Française à réclamer le droit de vote des femmes
- Elle est engagée dans l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, et pour la liberté des femmes au sens large, mais également en faveur de l’abolition de l’esclavage, et du droit au divorce par consentement mutuel
- Elle meurt guillotinée le 3 novembre 1793
À propos des autrices
Paule Valois est guide-conférencière professionnelle, historienne, journaliste. Elle propose des visites thématiques, fait découvrir le Paris historique, visible dans l’art de ses monuments et le destin de ses grandes figures, mais aussi l’histoire des Parisiens, et des femmes en particulier, à travers les événements historiques mais aussi la législation et les habitudes de la vie quotidienne.
Violaine Cherrier est journaliste et content manager indépendante spécialisée dans le secteur IT. Blogueuse sur le sujet de l’égalité professionnelle, elle rédige sur ce sujet pour la presse écrite, et intervient dans des conférences. Elle est également engagée en faveur de la lutte contre les discriminations dans le sport, notamment en tant que bénévole pour le Tournoi International de Paris.
À propos de l’Association Française du Féminisme
- Pour tout savoir de notre association, consultez la page Notre histoire
Lorsque Olympe de Gouges déclare « le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles » elle ne le pense pas vraiment, elle renvoie aux députés l’image de leur société patriarcale car c’est à eux qu’elle s’adresse.
J’adore cette femme très courageuse.